Malgré son apparence d’extraterritorialité, le cyberespace peut être territorialisé et tout d’abord dans sa couche physique. En effet, le cyberespace dépend des infrastructures qui le supportent (réseaux de transit, serveurs, fermes de données, etc.) qui se situent dans de des espaces nationaux.
Des frontières sur l’Internet
Internet est un vaste réseau de millions de sites web et d’autres services connectés par un ensemble complexe de protocoles de communication. L’utilisateur moyen (nous, vous) ne se connecte pas directement à ce réseau mondial ; il passe par un fournisseur de services Internet (FSI), qui agit comme un portail vers ces vastes ressources. Pour connecter ces services, les FSI utilisent des Points de Peering Internet (IXP), qui sont des infrastructures physiques où plusieurs réseaux se rencontrent pour échanger des données. Ces points sont stratégiques et souvent situés dans des lieux sécurisés et discrets en raison de leur importance pour le flux d’informations.
En 2019, lors de la crise politique au Soudan, le gouvernement a mis en œuvre une censure drastique des communications en ordonnant des coupures d’Internet à l’échelle nationale. Cette décision a été prise en réponse aux manifestations massives réclamant le changement démocratique après des décennies de régime autoritaire. Les coupures d’Internet étaient stratégiquement orchestrées pour coïncider avec les grandes manifestations, limitant ainsi la capacité des protestataires à s’organiser et à communiquer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Le Soudan, dont l’infrastructure Internet repose principalement sur quelques points d’accès contrôlés par l’État, a facilité la mise en œuvre de ces coupures par le gouvernement. Ces actions ont eu pour effet de plonger des régions entières dans l’isolement numérique, empêchant la diffusion d’images et de vidéos des manifestations et des répressions violentes qui s’en sont suivies. Cette situation est rare et l’efficacité de cette mesure est limitée, surtout avec l’expansion du réseau Internet : le caractère décentralisé du réseau permet de rétablir rapidement le système.
Les connexions transfrontalières servent de prolongement à la frontière physique : elles relèvent de la souveraineté de l’État sur le territoire concerné. Cependant, comme pour les frontières physiques, l’étanchéité n’est pas totale pour plusieurs raisons. D’une part, il y a la multiplication des points de passage des frontières ; d’autre part, l’augmentation du trafic joue un rôle, et enfin, il existe des moyens de contournement, que ce soit par voie hertzienne, à proximité du sol, ou via l’espace. Dans ces cas, les ondes nécessitent des émetteurs, des relais et des récepteurs, qui sont autant d’infrastructures physiques que les États doivent gérer.
Ainsi, le cyberespace connaît des frontières. Elles sont plus ou moins étanches mais doivent susciter l’attention de l’État qui doit y voir logiquement un attribut de la nation. Le président américain Barack Obama [Maison Blanche, 2009] décrit par exemple l’infrastructure numérique comme un « bien stratégique national ».
Les infrastructures physiques qui reposent sur les territoires d’un pays dépendent pour la plupart de la souveraineté de l’État. Les Etats ont donc la potentialité de contrôler les frontières du cyberterritoire qui correspond à leurs territoires physiques. Toutefois, ce contrôle est difficile, et surtout ne peut être absolument étanche car de multiples possibilités de contournement existent. En effet, le cyberespace est globalement résilient et localement vulnérable : ces notions de résilience et de vulnérabilité touchent à la fois à la dimension spatiale et à la dimension temporelle. Un État peut contrôler temporairement ses frontières, mais il ne peut instaurer un blocus durable de l’accès à ses réseaux.