La disparition des espaces
Sur terre, les distances deviennent insignifiantes, se mesurant en kilomètres, dizaines, voire centaines de kilomètres dans le cadre des opérations militaires sur un théâtre d’opération. En mer, les distances s’allongent, souvent exprimées en centaines de miles. Les opérations aériennes subissent la même inflation perceptive en matière de distances, tandis que dans le cyberespace, elles évoluent (ou évoluent déjà) dans un espace virtuel étendu.
L’image classique d’un opérateur derrière un ordinateur lançant une attaque visant à neutraliser un site radar à l’autre bout du globe illustre cette contraction de l’espace opérationnel. Avec l’avènement de la société de l’information, la tendance à éloigner les centres de décision de l’action s’est accentuée, atteignant aujourd’hui une forme de paroxysme. Dans le cyberespace, la notion de distance doit être appréhendée de manière différente.
“Dans un conflit cybernétique, la distance terrestre entre les acteurs n’est pas pertinente car tout le monde dans le cyberespace est ‘le voisin d’à côté’. Le matériel informatique, les logiciels, les protocoles et la bande passante forment le nouveau paysage des opérations, remplaçant les immeubles, montagnes, vallées et cours d’eau. Les armes les plus puissantes ne reposent pas sur la force brute, mais sur la logique et l’innovation.”
Cette utilisation de l’espace aurait été impossible sans les bouleversements considérables du XXe siècle engendrés par les moyens de communication. Le cyberespace est donc le milieu qui rend possible cet éloignement et le favorise. Tout en n’étant pas l’unique exemple, le cyberespace est également le terrain privilégié pour le changement de milieu, car les opérations dans le cyberespace sont destinées à avoir des répercussions dans d’autres espaces.
Réduire l’impact des technologies de l’information à la simplification de la conduite des opérations en diminuant le “brouillard” serait sous-estimer les effets de cette “révolution”. En effet, le développement de l’informatique a profondément altéré notre perception du monde, et ce mouvement, suivant la loi de Moore, ne semble pas prêt de s’arrêter. Dans le cyberespace, la distance ne présente plus le même caractère qu’elle a dans les opérations classiques. Elle ne constitue plus un élément d’analyse sur lequel baser un raisonnement tactique.
La suppression des distances, caractéristique de ce milieu, permet en outre le développement de stratégies indirectes plus efficaces, donnant à l’agresseur la possibilité de dissimuler l’origine géographique de son attaque et au défenseur de maximiser l’efficacité de sa réponse. À première vue, le cyberespace semble être un terrain plus propice à l’action offensive.
L’absence de distance permet à l’attaquant de déployer son action sans la profondeur nécessaire dans d’autres milieux, se libérant ainsi d’une des phases les plus délicates de l’attaque : l’approche de l’objectif. L’action offensive bénéficie ainsi d’un atout majeur : l’effet de surprise. Cette surprise découle directement de la suppression des distances dans le cyberespace et constitue un élément déterminant de ce milieu.