La cybercriminalité, un problème de technologie… ou de société ? Et si le défi principal n’était pas dans les câbles et les serveurs, mais dans nos façons de penser, de juger et de vivre avec le numérique ?
La cybercriminalité ne se limite pas à un ensemble de techniques ou de délits numériques. Elle pose avant tout une question de perception. Cette perception nous invite à distinguer la légalité, la morale et la culture. Notons quand même que “la limite entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas est influencée par le contexte dans lequel la société se développe. La morale, science du bien et du mal, varie selon la culture et le contexte sociopolitique d’un pays et d’une époque. Un acte peut être déviant par rapport à la morale, sans pour autant être illégal.
En revanche, la définition de ce qui est licite ou non, dépend de la loi applicable dans le pays considéré. Cet ancrage territorial des lois pose problème dans le contexte du cybercrime, dans la mesure où les délits y sont souvent perpétrés par-delà les frontières. Les comportements identifiés comme déviants par rapport à la morale, à la normalité, ou encore par rapport à des coutumes relevant d’une culture particulière, peuvent être parfois, s’ils s’effectuent au travers d’Internet, considérés comme relevant de la cybercriminalité.“
Certaines pratiques numériques perçues comme banales peuvent pourtant tomber sous le coup de la loi. Usurper l’identité d’un proche sur Facebook pour plaisanter ou encore accéder à un compte mobile money pour “régler une dette informelle” sont souvent tolérés dans le quotidien. Pourtant, ces comportements, bien que socialement acceptés ou moralement ambigus, relèvent bel et bien de délits numériques définis par les textes juridiques en vigueur.
La récente Ordonnance-Loi n°023/10 du 13 mars 2023 portant Code du Numérique a renforcé l’arsenal légal congolais face à ces pratiques. Elle introduit des dispositions claires sur l’accès illégal à un système informatique, l’atteinte à l’intégrité des données, ou encore l’usurpation d’identité numérique. Mais cette loi, aussi technique et rigoureuse soit-elle, se heurte à un défi importanr caractérisé par le manque d’éducation numérique adaptée au contexte culturel. Il est en effet difficile d’imposer une loi inspirée de standards internationaux dans un environnement où la culture numérique est encore émergente, et où la morale collective ne s’est pas encore pleinement adaptée aux réalités du cyberespace. Beaucoup d’usagers d’Internet ne perçoivent pas les conséquences juridiques de leurs actes. Cette méconnaissance renforce le sentiment que la cybercriminalité est une affaire « d’élites » ou de « hackers professionnels », alors qu’elle touche en réalité le citoyen lambda.
La lutte contre la cybercriminalité n’est pas qu’une affaire de technologie, c’est aussi une affaire de société. Elle suppose de construire une culture numérique adaptée à notre contexte congolais, sans calquer aveuglément des modèles étrangers. Cela nécessite du temps, de la pédagogie, des moyens… mais surtout une volonté politique, institutionnelle et citoyenne forte. Car tant qu’un acte sera jugé “normal” socialement mais punissable légalement, le fossé entre la culture et la loi alimentera l’impunité.