Le cyberespace, qui regroupe donc l’ensemble des réseaux interconnectés et les infrastructures physiques associées, n’est pas un espace tel que les sciences physiques le comprennent. En effet, la pensée physique s’appuie généralement sur la notion d’espace comme étant le théâtre dans lequel les phénomènes sont observés. De Newton à Einstein, de la physique classique à la relativité générale, cette vision a fondé le socle de notre compréhension de l’univers. L’espace a donc été intimement lié à une conception géométrique, indépendante des événements qui s’y déroulent et de la connaissance que l’on peut en avoir.

Tenter de penser le cyberespace comme un espace classique reviendrait donc à reprendre le long cheminement qui a mené les scientifiques à remettre en cause notre vision intuitive de l’espace pour y substituer une approche quantique. Cette approche quantique offre d’ailleurs des perspectives très prometteuses car elle nous incite à considérer l’élément essentiel que jouent les probabilités dans le cyberespace. La vision en couches de ce milieu propose une première ébauche de la vision quantique du cyber. Qu’il s’agisse de la couche physique, logique ou cognitive, chacune offre des possibilités d’interactions qui modélisent une forme de stratégie complexe où la simple causalité (action-réaction) est remise en question. Ainsi, une simple action sur un élément d’une couche (par exemple la dégradation d’un signal radio) entraîne non pas une réaction (ou une chaîne de réactions) mais ouvre sur un espace probabiliste dans lequel on peut tout juste mesurer la probabilité que tel événement se produise sur les autres couches.

Ce qui rend le cyberespace si particulier c’est bien cette impossible transposition de notre vision d’un espace physique. Ici, l’événement A n’entraîne pas forcément B et plus encore B n’est pas toujours la conséquence de A si l’on renouvelle l’expérience. Cette imprédictibilité qui s’oppose donc à une vision physique classique et pose également la question des conditions initiales et de leur reproductibilité, est un déterminant du cyberespace et devient un facteur central de toute stratégie élaborée. Développer ces aspects nécessite une étude particulière et nous éloigne quelque peu de la géopolitique. Pourtant, s’il n’est pas véritablement un espace physique au sens classique du terme, mais bien plus un « milieu quantique », le cyberespace peut toutefois accéder au rang de territoire.